Jean Baptiste Say et les utilités
Extrait :
Un médecin vient visiter un malade, observe les symptômes de son mal, lui prescrit un remède, et sort sans laisser aucun produit que le malade ou sa famille puisse transmettre à d’autres personnes, ni même conserver pour la consommation d’un autre temps.
L’industrie du médecin a-t-elle été improductive ? Qui pourrait le penser ? Le malade a été sauvé. Cette production était-elle incapable de devenir la matière d’un échange ? Nullement, puisque le conseil du médecin a été échangé contre ses honoraires ; mais le besoin de cet avis a cessé dès le moment qu’il a été donné. Sa production était de le dire ; sa consommation, de l’entendre ; il a été consommé en même temps que produit.
C’est ce que je nomme un produit immatériel.
L’industrie d’un musicien, d’un acteur, donne un produit du même genre ; elle vous procure un divertissement, un plaisir, qu’il vous est impossible de conserver, de retenir, pour le consommer plus tard, ou pour l’échanger de nouveau contre d’autres jouissances. Celle-ci a bien son prix ; mais elle ne subsiste plus, si ce n’est dans le souvenir, et n’a plus aucune valeur échangeable, passé le moment de sa production.
Smith refuse aux résultats de ces industries le nom de produit. Il donne au travail auquel elles se livrent le nom d’improductif, et c’est une conséquence du sens qu’il attache au mot richesse, au lieu de donner ce nom à toutes les choses qui ont une valeur échangeable susceptible de se conserver ; et par conséquent il le refuse aux produits dont la consommation a lieu à l’instant même de leur création. Cependant l’industrie d’un médecin, et, si l’on veut multiplier les exemples, l’industrie d’un administrateur de la chose publique, d’un avocat, d’un juge, qui sont du même genre, satisfont à des besoins tellement nécessaires, que, sans leurs travaux, nulle société ne pourrait subsister. Les fruits de ces travaux ne sont-ils pas réels ? Ils sont tellement réels qu’on se les procure au prix d’un autre produit qui est matériel, auquel Smith accorde le nom de richesse, et que, par ces échanges répétés, les producteurs de produits immatériels acquièrent des fortunes.
De la nature des produits immatériels, il résulte qu’on ne saurait les accumuler, et qu’ils ne servent point à augmenter le capital national. Une nation où il se trouverait une foule de musiciens, de prêtres, d’employés, pourrait être une nation fort divertie, bien endoctrinée, et admirablement bien administrée ; mais voilà tout. Son capital ne recevrait de tout le travail des hommes industrieux aucun accroissement direct, parce que leurs produits seraient consommés à mesure qu’ils seraient créés.
En conséquence, lorsqu’on trouve le moyen de rendre plus nécessaire le travail d’une de ces professions, on ne fait rien pour la prospérité publique ; en augmentant ce genre de travail productif, on en augmente en même temps la consommation. Quand cette consommation est une jouissance, on peut s’en consoler ; mais quand elle-même est un mal, il faut convenir qu’un semblable système est déplorable.
C’est ce qui arrive partout où l’on complique la législation.
Le travail des gens de loi, devenant plus considérable et plus difficile, occupe plus de monde et se paie plus cher. Qu’y gagne-t-on ? D’avoir ses droits mieux défendus ? Non, certes : la complication des lois est bien plutôt favorable à la mauvaise foi, en lui offrant de nouveaux subterfuges, tandis qu’elle n’ajoute presque jamais rien à la solidité du bon droit.
On y gagne de plaider plus souvent et plus longtemps. On est heureux sans doute de pouvoir se procurer un bon médecin lorsqu’on n’a pu éviter une maladie , mais il vaut mieux encore n’être pas malade. Compliquer les lois pour les faire débrouiller par les légistes, c’est se donner un mal pour prendre la peine de le guérir. Les produits immatériels, comme les autres, ne sont des produits qu’autant que l’avantage qui en résulte ne peut être acquis à moins de frais ; or, la voie la plus simple d’être affranchi d’un inconvénient, c’est de ne pas s’y soumettre de propos délibéré.”
Le texte qui précède n’a pas pris une ride. Les deux objectifs principaux du prochain gouvernement doivent être la réindustrialisation de la France et la simplification législative. Les services fonctionnant en interne ne développent pas l’économie. Les services exportés eux y participent.